Troisième partie : Mini pas si mini (1966 - 1970)
Après la mise au point du Pregnant et du Very pregnant, ASI se tourna vers un autre projet : le mini-guppy !
Evidemment, parler de "mini" est trompeur...il s'agissait d'avoir une soute avec un diamètre interne de 5,5 mètres, à comparer avec les 7,5 mètres du Super-Guppy .Pour information, la soute du C-5 "Galaxy" de l'US Air Force fait 5,8m de largeur pour 4,1m de hauteur ! Le Mini-Guppy possède donc une soute plus vaste que l'un des plus gros avions cargo du monde...le mini est donc tout relatif !
Deux avions seront construits, le "mini-guppy" et le "mini-guppy turbine 101".
Les premières études du Mini-Guppy remontent à 1966. L'objectif était de faire un avion commercial, c'est à dire qui pourrait être fabriqué en série et vendu, contrairement aux Pregnant et Very-pregnant Guppy qui restaient des prototypes utilisables seulement par la NASA. La principale innovation du mini-guppy était l'élargissement du plancher de la soute, élargissement rendu possible par la modification du lobe inférieur du Stratocruiser. Au lieu de garder la forme circulaire du lobe inférieur, il faudrait le reconstruire en forme coque de navire (en 'v') pour élargir le plancher.
Pour le système d'ouverture, le diamètre moins important de l'appareil permettait de revenir à un système d'ouverture par la queue. Tout l'arrière de l'appareil pivote autour de deux charnières, avec une béquille extensible permettant de soutenir la queue lors de l'ouverture. Cette béquille reposait sur une roue orientable, et était stabilisée par deux contrefiches latérales.
Les travaux débutèrent à Santa-Barbara en décembre 1966, par le découpage d'un Stratocruiser ayant appartenu à la Pan Am. Pendant que les chalumeaux travaillaient à plein régime, de nombreuses réunions eurent lieu avec la FAA en vue de la certification de l'appareil, condition sine qua non pour l’utilisation publique du mini-guppy. L'expérience des deux premiers Guppy permit une bien meilleure ambiance, et la FAA put avoir tous les justificatifs demandés.
Le mini-Guppy fit son premier vol le 24 mai 1967...Il fit un crochet par Philadelphie pour charger un conteneur spécial avant de venir se poser à Paris le 27 mai, en plein salon du Bourget...Clou du salon, l'avion n'était pas seulement en exposition statique : en effet, le "chalet" de Sud-aviation avait été installé dans le conteneur si spécial chargé à Philadelphie !
Pour mieux comprendre cet évènement, il faut remonter à 1965, à l'époque des premiers contacts entre Sud-aviation et ASI, dans le but de trouver un moyen de transport pour les tronçons du Concorde...Ces négociations finirent par aboutir en 1970, mais ce sera le sujet d'un prochain article !
Le mini-guppy restera propriété de ASI jusqu'en 1974, avant d'être vendu à Jet-Industrie (de même que le Pregnant-Guppy). Il fut revendu en 1980 à Aero-Union, qui le vendit ensuite à Erickson Aircrane, qui le fit voler jusqu'en 1992 pour de la logistique pétrolière. Il est actuellement exposé au Tillamook Air Museum.
Le mini-guppy turbine 101 eut une carrière beaucoup plus courte et tragique.
Le MGT 101 se différenciait du mini-guppy par une structure allongée et par sa motorisation : les moteurs à pistons du stratocruiser furent remplacés par des turbopropulseurs "Allisson" du même modèle que ceux utilisés sur les P-3 Orion, ou son équivalent civil, le Lockeed "Electra". Le gain de puissance ainsi réalisé se traduisait par une augmentation notable de la charge utile transportable et du rayon d'action. L'avion utilisé pour cette transformation était un Boeing C-97, version militaire du Stratocruiser, qui était disponible en plus grande quantité que les Stratocruiser, produit devenu rare sur le marché de l'occasion !
Le système d'ouverture fut de nouveau modifié, repassant à l'avant de l'appareil. Malgré la complexité du système, il présentait l'avantage d'offrir une section plus grande pour le chargement. Le système à double charnière du Super-Guppy ne fut pas reconduit, laissant place à une charnière unique montée sur rotule.
Profil du MGT101
L'assemblage débuta en mai 1968, et l'appareil sortit du hangar en mai 1970. Il fit son premier vol le 13 mars avant d'entamer ses essais en vol. Le programme d'essais se déroula sans problème, confirmant les bonnes qualités de vol de l'appareil. ASI espérait une certification rapide en vue de vendre l'appareil et d'en produire d'autres...
Hélas, tout le programme s'arrêta brutalement le 12 mai 1970. Ce jour là, le MGT faisait des essais d'arrêt moteur au décollage (procédure standard lors des essais en vol, pour déterminer le comportement de l'appareil en cas de panne moteur). A 8h30, lors d'un décollage, l'ingénieur navigant d'essai arrêta le moteur n°1 (le plus à gauche) juste avant la vitesse de décision (V1), le décollage se poursuivit et la rotation se fit normalement à la vitesse appropriée...une seconde après, l'avion se déporta sur la gauche, et le saumon d'aile toucha durement le sol, faisant basculer l'avion qui s'écrasa avant de prendre feu. Les quatre membres d'équipage périrent dans l'accident. L'équipage était composé de Van Shepard (pilote) Hal Hansen (copilote) Travis Hodge (mécanicien navigant) et Warren Walker (ingénieur d'essai en vol).
L'examen de la carcasse et des boîtes noires ne permit pas d'établir avec la précision la cause du crash. Le NTSB (BEA américain) conclut qu'un élément du palonnier avait dû se bloquer, provoquant une perte de contrôle. Pour ASI, la perte était irréparable, l'avion totalement détruit, mettant un point final au programme du mini-guppy. Pour le personnel d'ASI, petite compagnie qui était une grande famille, la perte de quatre des leurs fut très durement ressentie.
Mais la vie devait continuer, et un nouveau modèle de Guppy était bientôt prêt pour son premier vol. Plus grand et mieux motorisé que le Super-guppy de la NASA, il s'agissait d'un appareil entièrement repensé, qui tirait l'expérience de tous les avions précédents : le Super-Guppy Turbine 201, qui sera construit à quatre exemplaires, était l'aboutissement de la famille ! L'histoire de ses quatre frères sera l'objet de la suite de cet article.