dimanche 5 août 2012

On ne vole pas sur les fesses !


Lors de la certification d'un nouvel avion, les autorités de certification (la FAA aux Etats-Unis, et la DGAC en France) exigent de tester le décrochage de l'appareil. Les valeurs d'angles et de vitesses de décrochage sont cruciales pour déterminer l'enveloppe de vol de l'appareil. La FAA demanda donc de faire décrocher le Super-Guppy à différentes vitesses et inclinaison, et des vols d'essai eurent lieu dès fin Août 1970 (Le 1er Super-Guppy Turbine fit son premier vol le 24 Août 1970)


Dès les premiers vol, les résultats furent excellents en ce qui concernait la manœuvrabilité et la stabilité du Guppy, en revanche, le comportement de l'appareil en situation de décrochage était très inquiétant. A l'approche de la vitesse de décrochage, l'avion était sujet à un violent "pitch-up" vers le haut (l'avion se mettant "sur les fesses") rendant la reprise de contrôle très difficile, vu que la dérive arrière n'est plus dans le vent, même avec les moteurs à plein régime.

Lors d'un vol d'essai mémorable le 5 avril 1971, l'avion décrocha pour de bon en se cabrant violemment juste avant que l'aile gauche ne s’affaisse. Le Guppy venait de rentrer dans la pire des situations : un décrochage asymétrique. Il faudra toute la virtuosité de John Campbell pour éviter que le vol ne se termine en catastrophe.

Pour la certification du N211AS (futur Guppy n°1 F-BTGV), la FAA avait donc exigé que, si rien ne pouvait être fait pour améliorer l'aérodynamisme de l'avion à base vitesse, il fallait monter un système d'avertissement permettant aux pilotes de ne jamais atteindre cette fameuse vitesse critique.

Il fallut de nombreux mois et essais pour mettre au point un système fiable et redondant. La solution consistait à avertir le pilote lorsque le Super-Guppy atteignait une vitesse de décrochage "fictive" c'est à dire une vitesse légèrement supérieure à la vraie vitesse de décrochage, permettant aux pilotes de réagir avant de s'aventurer dans une zone dangereuse.

Au final, deux systèmes identiques mais totalement indépendants furent montés sur chaque appareil. De cette manière, même si l'un des avertisseur tombait en panne, le second restait disponible pour avertir les pilotes. de l'imminence d'un décrochage. Appelé SPS pour Stall Prevention System (Système de prévention du décrochage) il s'agissait d'un élément essentiel de la sécurité de l'avion.

Côté avion, le système comprenait
  • une girouette donnant l'angle d'attaque de l'avion
  • un détecteur de position des volets hypersustentateurs
  • un calculateur situé dans le rack radio constitué d'un transformateur et d'un circuit électronique calculant la marge par rapport à la vitesse de décrochage. C'est lui qui active les indicateurs du cockpit (voir illustration ci-dessous).
  • un indicateur vol/sol, constitué de relais placés sur le train atterrissage indiquant si l'avion est au sol ou non, qui empêche l'alarme de se déclencher inutilement au sol
Rack radio - détails des deux calculateurs SPS

Côté cockpit, on trouve
  • un indicateur de marge de décrochage, gradué de 1 à 1,6, qui correspond au rapport vitesse sur vitesse de décrochage (réelle) soit V/Vs (1)
  • un "stick shaker" (pour ceux qui ne connaissent pas : c'est comme un vibreur de téléphone portable, sauf que ça fait vibrer le manche du pilote) qui se déclenche à 110% V/Vs (10% de vitesse au dessus de la vitesse de décrochage)
  • un voyant lumineux marqué "STALL" bien en évidence devant les yeux du pilote, qui se déclenche entre 100% et 110% de V/Vs (2)
  • et enfin un klaxon, très désagréable (et c'est fait exprès !) qui se déclenche en même temps que le voyant lumineux.
Planche de bord commandant - détails

Le système devait être vérifié périodiquement. Tous les ans, il fallait faire un vol d'essai pour vérifier le bon réglage de l'ensemble. Le Guppy décollait avec la soute vide, mais avec un contrepoids de près de 2,5 tonnes à l'avant. Le but du vol n'était pas de décrocher...les risques de perte de contrôle et de crash étant trop élevés. Le contrepoids à l'avant devait permettre de limiter le "pitch-up" du nez en cas de début de décrochage.

Le Guppy montait à 15000 pieds, et le pilote réduisait progressivement la vitesse, tout en surveillant les indicateurs de marge de décrochage. Le mécanicien navigant devait noter les vitesses de déclenchement du stick shaker et du voyant lumineux ainsi que le klaxon associé. Lorsque le klaxon se déclenchait, le pilote mettait brusquement le manche "au tableau" (ordre à piquer) pour éviter de décrocher pour de bon.

Si le réglage n'était pas bon, il fallait retourner se poser, recalibrer les calculateurs, et repartir jusqu'à ce que le réglage soit conforme aux spécifications du manuel de vol !

A noter que les pilotes et mécaniciens qui participaient à ces vols d'essai recevaient une prime de risque pour chaque vol d'essai du système de décrochage, c'est dire la confiance qu'avait Airbus dans la capacité de l'avion à survivre à un décrochage !