jeudi 16 octobre 2014

L'ouverture du F-BPPA

L'ouverture du Guppy est toujours une opération délicate, et ce même si c'est dans un hangar fermé : la charnière est l'une des parties les plus fragiles de cet appareil comme les accidents d'arrachage de portes sont là pour nous le rappeler.

Depuis l'entrée du Guppy au sein du musée Aéroscopia, les Ailes Anciennes se préparaient à ouvrir le Guppy, ce qui sera sa posture finale au musée : dans la position de chargement, ce qui permettra d'installer une plateforme à bord et de transformer la "cathédrale" du Guppy en salle de cinéma…

Le Guppy est ouvert !


L'idée est belle sur le papier, mais comme toujours, on ne peut pas la réaliser aussi simplement que cela : le Guppy n'a pas été conçu pour rester ouvert de manière prolongée, et aucune ouverture complète de la porte n'a été réalisée depuis son retrait du service en 1996, il fallait donc à la fois vérifier que le F-BPPA était encore en état d'être ouvert, et prévoir de quoi le soutenir une fois ouvert pour limiter les efforts sur la charnière et empêcher tout basculement une fois dans le musée, ce qui serait "ballot" pour ne pas dire plus !

Un trou dans le plancher...


L'équipe du Guppy a commencé à répéter les manœuvres d'ouverture il y a déjà bien longtemps, en 2012 : mise sous tension, test du circuit hydraulique des papattes de stabilisation etc…il a fallut fabriquer une nouvelle barre de manœuvre et la rallonge électrique, qui permet l'alimentation des pompes lorsque le nez est ouvert, en s'aidant des plans et avec quelques conseils de l'équipe du Guppy de la NASA, faire fabriquer les corsets de trains pour immobiliser le train avant et éviter tout accident etc…

Les câbles de commandes sont débranchés...


Le 6 septembre dernier, nous étions à pied d'œuvre pour ouvrir l'appareil, bénéficiant en plus de la présence de Régis, un ancien du Guppy pour nous aider pour la partie "pratique", de la mise en pression des papattes et autres et nous aider à savoir ce qui était normal de ce qui ne l'était pas…

Guppy sous tension !


Tout s'est bien passé, nous suivions la checklist point par point, sans aucun soucis, hormis le grincage occasionnel des parties de l'appareil qui n'avait plus été sollicitées depuis 1996 ! J'avais par moment l'impression que le Guppy criait son désespoir tel un animal mortellement blessé…Nous arrivions sur la dernière partie de la checklist : la rétractation des dernières "pin" d'alignement…lorsque soudain, quelque chose à cassé sur le train avant, et le fluide hydraulique s'est mis à fuir de partout…le nez commençait à s'affaisser ! En catastrophe nous avons du le refermer…par chance, les broches étaient encore à moitié engagées, et nous avons du resserrer les écrous manuels à la force des bras pour "recoller" l'avant et l'arrière. L'ajout d'une chandelle sous le nez permettant ainsi de soulager la pression sur le train avant.

Le jeu trop important en haut nous a obligé à refermer le Guppy en urgence...


Passé ces émotions, nous avons pu réfléchir calmement à la suite des évènements : vu que l'hydraulique était cuite au niveau de la roue avant, il nous fallait un corset solide pour maintenir le train avant à la bonne hauteur, le corset qui nous avait été fabriqué par une autre société ne faisant pas l'affaire…heureusement les Ailes Anciennes Toulouse possèdent une équipe compétente en bricolage ingénieux et solide : ils ont passé deux journées complètes à usiner, avec parfois les moyens du bord, un nouveau corset qui durera sans doute plus longtemps que le train d'atterrissage autour !

Mise en place des cales de trains principaux...plutôt malfoutus...


Une fois ce nouveau corset prêt, nous pouvions retenter l'ouverture : l'acte 2 sera le bon, et la date retenue sera le mardi 14 octobre. Cette fois nous avions deux anciens du Guppy : Régis et Daniel, Daniel étant celui qui a écrit le (seul) livre sur les Guppy et également celui qui était mécanicien navigant lors du dernier vol du F-BPPA en 1996 ! Bref, nous étions bien entourés, et rien ne pouvait échouer ! Du moins j'espérais que ce vieux tas de ferraille que j'affectionne tant n'allait pas nous claquer entre les doigts !

Paré à la manœuvre !


Les opérations ont débutées vers 17h, histoire de mettre toutes les sécurités de trains en place et vérifier que tout était solidement fixé. Pour cela il fallait regonfler les amortisseurs pour poser les sécurités avant de les dégonfler pour mettre les corsets en place. Problème inattendu, une fois gonflé, nous avons coincé un des amortisseurs : impossible de le dégonfler ! Heureusement ce n'est pas dramatique : grâce aux vérins de stabilisation le Guppy ne bougera pas, même si le train principal se dégonfle. Le nouveau corset made in AATLSE a été installé sur le train avant sans encombre, et la solidité de sa construction est bien apparente !

Mise en place du corset made in AATLSE

Une fois tout cela mis en place, il a fallut reprendre l'équilibrage de l'appareil : revérifier la hauteur et la pression sur les trois papattes; il faut en effet que l'appareil soit droit pour pouvoir l'ouvrir, le problème étant que dès que l'on modifie un réglage, il influe sur tous les autres. Pour ces opérations, nous n'avons même pas utilisé la pompe électrique, mais uniquement la pompe à main pour mieux "sentir" les clapets de surpression.

Je vous montre la "vraie" taille du Guppy...

Nous avons ensuite pu déboulonner les broches à serrage manuel en ne laissant que celle du bas en position, avant d'effectuer un ultime réglage des papattes. C'est là que les choses ont commencées à se corser : mis sous tension, un câble de maintien en acier, qui permet de relever les stabilisateurs, à lâché sans aucun avertissement, heureusement sans blesser personne, et peu de temps après, du fluide hydraulique à commencer à couler abondamment du haut d'un des deux vérins avant : il fallait faire vite : une fois la réserve hydraulique de ce circuit épuisée, il deviendrait impossible de le manœuvrer.

Le nez arrive dans sa position finale


Nous avons donc tous agi rapidement pour mettre les vérins dans leurs positions définitives, avec un dernier coup de pression sur le vérin arrière pour lever légèrement l'arrière de l'appareil, et nous étions presque prêt à ouvrir. Il ne restait qu'à dévisser la dernière broche inférieure et rentrer les broches manuelles, et vérifier que l'outrigger, le moteur permettant l'ouverture du nez, était bien sorti.

Vue sur la charnière ouverte

Et vue de l'intérieur : les câbles et tuyauteries qui passent au niveau de la zone de la charnière...


Arrivé à ce stade, les parties avant et arrière de l'appareil ne sont plus reliées que par la charnière, il ne reste qu'à ouvrir. C'est Daniel, ancien mécano nav qu'est revenu l'honneur de la manœuvre : la nouvelle barre de commande fonctionnait à merveille, et l'ouverture à proprement parlé n'a duré qu'une trentaine de seconde tout au plus. Le nez à été ouvert à environ 100° d'ouverture, sa position définitive, avant de l'immobiliser et de caler la roue avant.


On peut voir jusqu'au fond de la soute !

Mission accomplie : nous avons pu enfin admirer la soute du Guppy ouverte, un spectacle assez impressionnant pour ceux qui ne l'avait encore jamais vu comme moi, ou alors très émouvant pour ceux dont c'était le métier il y a 20 ans ! On se rend vraiment compte de l'immensité de la soute, et de sa profondeur ! L'occasion de prendre de nombreuses photos de détails et sous toutes les coutures ! Il fallait ensuite tout fermer et nettoyer un peu : nous avions répandu de l'hydraulique un peu partout sur le sol là où la roue avant était passée…

Vue sur la soute ouverte, avec la trace de la roue avant au sol...
Je suis remonté une dernière fois dans le cockpit, histoire de dire au revoir : une fois définitivement installé, toute la pointe avant sera condamnée, il fallait donc que j'en profite. J'en ai profité pour fermer hublots et portes histoires de ne pas trop laisser la poussière des travaux s'infiltrer à bord !

Le nez est ouvert !
Une fois que cela était terminé, il fallait sortir et refermer le Guppy, qui est un pas plus loin sur sa préservation au sein d'un grand musée. Il ne reste plus qu'à aménager l'intérieur, toute un challenge au vu du nombre d'interlocuteurs qu'il faut mettre d'accord,, et surtout ceux avec qui il faut se battre pour leur faire comprendre que non, on ne peut pas percer un avion comme on veut : encore tout un programme en perspective !