mardi 6 août 2013

La réception du F-BPPA

Mai 1973

Maurice de Charnacé, le directeur de production d'Airbus, va devoir travailler d'arrache pied avec ASI pour organiser la réception du deuxième Guppy commandé par Airbus. Toujours à Santa-Barbara, l'appareil est déjà construit, mais doit être mis au même standard que l'avion n°1, ce qui nécessite quelques modifications.

Le N212AS, encore aux Etats-Unis avant de devenir le F-BPPA



Le contrat de vente prévoit trois parties. La première concerne (évidemment) la livraison du N212AS, mais les deux autres s'inscrivent dans un plan à plus long terme, qui répond à la volonté d'Airbus de pouvoir s'affranchir d'ASI dans le cas de sa disparition, chose qui paraissait de plus en plus évitable en ce début d'année 1973 : ASI devait donc fournir des pièces de rechanges à hauteur de 500 000 dollars (allant du moteur de rechange au ressort de rappel pour la porte), mais surtout fournir toute la documentation technique nécessaire à la fabrication d'un troisième appareil ou pour des réparations lourdes sur le second.

Pour la livraison (ou "closing" en anglais), Airbus et ASI vont se mettre d'accord pour le faire chez ASI à Santa-Barbara du 16 au 25 juillet 1973. Trois équipes vont se rendre aux Etats-Unis : une équipe d'Airbus, composée de Charnacé et Olivier (prêté par la SNIAS), une équipe de personnel navigant de l'UTA : le capitaine Vennier, Daniel Lamblin, Maurice Leroy et Jean Molas ainsi qu'une équipe de "rampants" (personnel au sol) : René Guilleminot, Jacques Giraudingo et M. Michaud.

De Charnacé et Olivier arrivent à Santa-Barbara le 17 juillet au soir et se présentent chez ASI le 18 au matin. Première surprise : le N212AS n'est pas là : il est à…Las Vegas ! En fait, pour une simple question de taxes, ASI a fait "sortir" le Guppy de Californie…et l'UTA doit donc aller l'inspecter là-bas, avant de revenir faire le vol de Réception au dessus de Santa-Barbara, le tout après le "closing", c'est-à-dire lorsque l'avion aura changé de propriétaire…en revanche, toute la documentation est restée à Santa-Barbara...

Et la documentation...des caisses et des caisses...


Si pour ASI c'est un avantage, pour Airbus et l'UTA, c'est un problème : le Super-Guppy est parqué en bout de piste sur un petit aéroport, qui possède très peu de moyens au sol, et la chaleur infernale qui règne dans la région est encore pire à l'intérieur de l'appareil : plus de 60° dans le cockpit…ceux qui ont déjà visité la bête lors des visites cockpits aux Ailes Anciennes Toulouse savent de quoi je parle…

Les équipes françaises doivent donc faire la navette entre Santa-Barbara et Las Vegas au cours des jours qui vont suivre. Lors de sa rencontre avec de Charnacé, le président d'ASI, Vaughan Reed annonce que son seul but est de liquider ASI, qui doit disparaitre avant la fin de l'année. Selon son plan, Airbus rachète le deuxième Guppy turbine 201, la firme Convair rachètera le Super-Guppy NASA, et une république d'Amérique latine doit racheter le mini-Guppy ainsi que le Pregnant Guppy. ASI ne compte plus que 30 employés à cette date.

Reed tentera également de faire pression sur Charnacé pour lui vendre un maximum de pièces de rechange, avec l'effet de "crainte" pour l'avenir suite à la disparition proche d'ASI. Airbus ne se fait pas prendre au piège, car de Charnacé sait que la plupart des pièces peuvent être trouvées par d'autres filières, ASI ayant fourni un index complet des différents fournisseurs.

Du 18 au 31 juillet, à raison de plus de 8 heures par jour (y compris le dimanche), de Charnacé et Olivier vont inventorier et vérifier toute la documentation technique . Ayant trouvé plusieurs incohérences, ils vont devoir tout passer au peigne fin, obligeant ASI à trouver ou justifier les documents manquants. Cet acharnement s'explique aussi par le fait que une fois ASI disparue, Airbus ne pouvait compter que sur ces documents pour fabriquer un troisième Guppy si le besoin s'en faisait sentir.

La documentation technique ainsi vérifiée représente pas moins de 50 rouleaux de plans de liasses (à raison de 12 à 20 plans par rouleau), 5 rouleaux de tracés et 16 boites cartons de rapports…jamais que 450 kg de papier qui devra voyager dans le Guppy pour le chemin de retour !

Le 26 juillet, c'est Daniel Lamblin qui arrive du Bourget; c'est lui qui va procéder à la vérification technique des documents. Là aussi des anomalies vont obliger à un travail acharné pour finaliser la vérification avant la date du "closing", fixée au 31 juillet.

Entre temps, l'équipe de rampants d'UTA (arrivée à Santa Barbara le 19…et reparti le 21 car l'avion n'y était pas) procède tant bien que mal à l'inspection de l'avion à Las Vegas. Sur place, ils peuvent constater que l'appareil est parqué en pleine nature près des usines de Hughes Aircraft…et ils n'ont ni groupe de parc, ni outils, ni même une simple échelle ! Heureusement, ASI dépêche d'urgence ce qu'il faut sur place…mais la chaleur rend le travail impossible (tôles brûlantes en extérieur, véritable four à crumble à l'intérieur). Il est finalement décidé que les équipes travailleront de 5h du matin à 10h30, puis de 18h30 à 23h pour éviter la chaleur écrasante. A l'issue de cette dure semaine d'inspection, l'équipe relève pas moins de 193 retouches à effectuer sur l'appareil…retouches acceptées par ASI, mais qui ne pourront pas être effectuées avant le retour à Santa Barbara…après le closing donc…

Lionel Vennier et son équipage arrivent à Los Angeles le 27 juillet au soir, avant de prendre possession de l'avion le 28 au matin. La première matinée est occupée pour tester l'ouverture de la porte et le système de verrouillage des palettes. Tout se passe bien, et l'appareil est prêt à décoller. Pourtant, l'avion est sensible, car...trop chaud ! Il faudra donc attendre 16h30 pour pouvoir terminer toute la checklist et décoller.

Le F-BPPA sur la rampe


Après un petit tour d'1h30 au dessus de Las Vegas, Vennier et son équipage ont relevés 6 points bloquants (dont un défaut sur les vérins des trains principaux), mais sinon, l'appareil est acceptable, conforme au numéro 1. Vennier accepte donc l'appareil au nom de l'UTA, et de Charnacé l'accepte au nom d'Airbus. Le N212AS n'existe plus, remplacé par le F-BPPA (PPA signifiant "Pour Production Airbus"). Devenu fiscalement la propriété d'Airbus, le cap est mis sur Long Beach.

acceptation de l'appareil par Lionel Vennier (bizarrement daté du 28 août et non du 28 juillet....le 28 juillet était bien un samedi, alors que le 28 août était un mardi...probablement une erreur...)

L'appareil va passer le week-end à Long Beach en attendant que toutes les questions financières soient réglées. Les équipes d'ASI en profitent pour peindre la nouvelle immatriculation sur l'appareil ainsi que les logos de l'Aéromaritime et d'Airbus. Pendant ce temps, les équipes d'ASI et d'UTA travaillent pour chosir les pièces de rechange tenant dans l'enveloppe des 500 000 dollars. Le travail n'est pas terminé le 30 juillet au soir, car le magasinier de chez ASI est seul pour sortir les pièces, les inspecter et rédiger les factures…il faudra un renfort de la part de l'UTA, et un travail acharné dans la nuit du 30 au 31 pour terminer l'inventaire. Il est terminé au petit matin pour un montant de 568 685,10 dollars…un peu plus que prévu. Dans le lot se trouvait notamment des précieuses pièces de rechanges découpées sur un Stratocruiser, "au cas où", et ce malgré un prix d'achat multiplié par trois entre la livraison du F-BTGV et celle du F-BPPA.

Charnacé et Olivier travaille jusqu'à minuit le 30 juillet, pour finir l'inventaire des documents. Le closing pouvait avoir lieu. Cette phase de closing n'a pas été la plus simple : ASI souhaitant des garanties au niveau du paiement, Airbus devait verser les fonds via une banque américaine qui pouvait garantir l'irréversibilité du paiement. Deux avocats new-yorkais engagés par Airbus donneront un coup de main appréciable à Charnacé et Olivier à cette occasion. Le lendemain,31 juillet, la réunion va durer de 8 heures du matin jusqu'à midi, où toutes les parties se déclarant satisfaite, le versement de 7 556 400 dollars, plus le dépassement de 68 685,10 dollars de pièces de rechange est déclaré effectué et irréversible. La FAA d'Oklahoma enregistre le changement de propriétaire à 11h57 précisément. Olivier téléphone à Lionel Vennier à Long Beach pour donner l'autorisation de ramener le F-BPPA jusqu'à Santa Barbara. L'avion retourne se poser sans encombre chez ASI où il est immédiatement mis en chantier. Il n'en sortira que le 5 août suivant.

Déclaré bon pour le vol, le F-BPPA dit au revoir à la Californie le 6 Août. Il décolle à 8 heures du matin avec à son bord un équipage de quatre hommes (Lionel Vennier, Maurice Leroy, Hubert Veyret et Jean Molas) et deux passagers (Olivier et de Charnacé). A son bord se trouve également 9 tonnes d'équipement et pièces de rechanges…sans compter les 500 kg de documentation technique ! 

Le Guppy fait un stop à Fresno pour refaire le plein de carburant, avant de se poser à Duluth dans le Minessota, où l'équipage passe la nuit. L'appareil redécolle le lendemain à 8h30, après les formalités de douanes, et met le cap sur Gander (Terre-Neuve) avec une nouvelle escale nocturne.

Décollage !


Le F-BPPA quitte Terre-Neuve le mercredi 8 Août à 7h15, direction le Bourget ! Après un long vol de 8h30, mais aidé par un vent arrière de 20 nœuds, Lionel Vennier pose l'appareil sur la piste du Bourget, il est alors 19h15 heure locale. Le F-BPPA est alors pris en charge par l'équipe Guppy du Bourget.

Airbus possède désormais un deuxième Guppy qui va rejoindre le F-BTGV. Contrairement à ce que craignaient les dirigeants d'Airbus en 1972, il va rapidement être employé en backup du F-BTGV, puis en exploitation conjointe avec ce dernier, il n'aura jamais besoin d'être stocké, grâce à l'explosion des ventes de l'A300.

Le F-BPPA, 40 ans après, bientôt au musée !


Quarante ans après, le F-BPPA est toujours là, et s'apprête à rentrer au musée Aéroscopia. Que de chemin parcouru depuis le hangar d'assemblage de Santa Barbara !

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