lundi 5 septembre 2011

L'histoire des Guppies (6)

Sixième partie : Comment Airbus confie la construction d'un Boeing à une compagnie aérienne...

En 1977, Airbus entreprit de reprendre contact avec ASI...sans trop d'espoir : vu les difficultés rencontrées par la société lors de la construction des Guppy n°1 et 2, les chances qu'elle ait fait faillite était grande. Contre toute attente, ASI existait toujours : Erich Braun retrouva ses coordonnées dans un annuaire (n'oublions pas que c'était avant l'époque d'internet !)

La société avait beaucoup évolué : elle était devenue une filiale du groupe Unexelled Chemical, et ne faisait plus que du travail de sous traitance...

Félix Kracht invita donc Kirk Irwin, PDG de ASI à une réunion à Toulouse le 15 février 1978. Au cours de cette réunion, Irwin fut informé de l'intention d'Airbus d'acheter un voire deux Super-Guppy supplémentaires...Kirk Irwin répondit que ASI avait changé, devenant société de sous-traitance pour survivre, les Guppies n'ayant jamais eu le succès commercial espéré aux États-Unis. Malgré cette mise en garde, Airbus signa avec ASI une intention d'achat, mais il fallait trouver une solution pour la construction de cet appareil supplémentaire.

Les besoins d'Airbus étaient clairs : l'augmentation des cadences ainsi que les quelques accidents qui avaient eut lieu sur la flotte, rendait le Guppy absolument critique, et si le F-BPPA n'était qu'un avion de réserve au début de sa carrière, il était de plus en plus sollicité. Pour grandir, Airbus avait besoin d'au moins un Super-Guppy supplémentaire. Dans le même temps, cette réunion de 1978 acheva de convaincre Airbus que pour anticiper l'avenir, ce n'est pas un, mais deux appareils supplémentaires qu'il faudrait !

Super-Guppy au petit matin à Toulouse

ASI réfléchit au problème, et mit plusieurs mois avant de proposer une réponse formelle à Airbus. Elle envisagea plusieurs solutions :
- soit la vente à Airbus du Super-Guppy de la NASA (N1038V), appareil qui était loué par ASI à la NASA, et/ou l'achat d'un Super-Guppy Turbine
- soit la vente à Airbus de deux Super-Guppy Turbine

Informé de cette offre d'achat, la NASA refusa de voir partir cet avion qui lui rendait tant de service, et annonça son intention d'achat. La vente fut finalisée en février 1979. En attendant ASI ne pouvait plus proposer cet avion à la vente : il fallait trouver comment construire de nouveaux appareils.

Une solution était d'embaucher, mais ASI savait que ce plan de charge ne serait que temporaire...l'autre solution était la sous-traitance : faire réaliser les avions par une autre société...mais laquelle ? Les partenaires d'Airbus n'avaient ni les connaissances, ni le désir de se lancer dans "un chantier de bricoleur" ! Habitués aux standards de l'aéronautique et à la production en série, ni l'Aérospatiale ni VFW en Allemagne ne souhaitaient se lancer dans le chantier de construction d'un Guppy, encore moins de deux !

Finalement, Airbus se tourna vers une autre société : UTA...Ce choix semblait logique : de par son contrat d'entretien avec Airbus, elle connaissait les Super-Guppies mieux que quiconque excepté ASI ! De plus, le savoir faire d'UTA était connu dans le monde entier : ses chaudronniers avait la réputation d'être les "aristocrates" de la profession, réalisant des merveilles pour réparer le résultats d'une rencontre fortuite entre une aile d'avion et un muret, un escabeau ou tout autre objet. La décision fut prise : UTA réaliserait l'assemblage pour Airbus !

Le schéma industriel devenait plus complexe : ASI découperait et préparerait les éléments du Stratocruiser (nez, dérive, ailes) avant de les expédier au Bourget, ou UTA réaliserait pour Airbus l'assemblage final du Guppy : la compagnie aérienne (qui n'avait jamais acheté d'Airbus !) devenait constructeur d'avion (un modèle de chez Boeing en plus !) pour Airbus : le monde à l'envers en somme !

Côté ASI, l'agrément de licence fut signé le 17 décembre 1979. Par suite de ce contrat, ASI restait propriétaire du certificat type du Super-Guppy, concédant à Airbus la licence de construction pour deux avions, avant le 31 décembre 1986 au plus tard. La transaction étant réalisée pour un montant de 2,5 millions de dollars !

Cela semble complexe, mais UTA n'ayant pas la licence de constructeur d'avion mais le savoir faire, devait travailler pour Airbus qui possédait la licence de constructeur d'avion, mais pas le savoir-faire ! Airbus s'occupa du problème de licence et de certification auprès des autorités françaises, ASI lui fournissant tous les justificatifs nécessaires, pendant que UTA réaliserait les avions avec les pièces acheminées des Etats-Unis !

C'est ainsi que pas moins de trois contrats importants furent signés le 15 avril 1980 :
- le premier entre UTA et Airbus, pour la modification du contrat d'entretien, désormais étendu à quatre Guppy
- le second, toujours entre UTA et Airbus, pour la livraison des Guppy n°3 et 4
- le troisième entre UTA et ASI pour la sous-traitance des pièces de Stratocruiser.

ASI devenait ainsi sous-traitant de deuxième niveau pour Airbus, tout en restant propriétaire du certificat de l'avion réalisé par le sous traitant de premier niveau qu'était UTA pour le constructeur Airbus qui ne construisait rien dans cette histoire....Nous l'avons compris : c'est compliqué, mais l'essentiel était là : l'avenir de la production d'Airbus était assurée pour les années 80 !


Un appareil devenu indispensable, dont l'assemblage tenait du bricolage

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